dimanche 6 janvier 2008

Le Clairchantant

Quand il entre dans la lumière du feu et des torches, Narsès, Diotime et tous les convives se lèvent . Clios est frappé par la souffrance et la majesté de son visage. à la fin du repas, chacun attend quelque chose de grand et d'inattendu qui ne se produit pas. Diotime se penche vers Oedipe: "Nous n'avons plus d'aède, veux-tu chanter pour nous ce soir ?" A la grande surprise d'Antigone, il accepte et se lève. Diotime le conduit devant le feu et le fait monter sur une large meule de pierre d'où il domine un peu l'assemblée. Diotime s'assied sur la meule et Antigone se pose , angoissée à côté d'elle.


Oedipe, tourne d'abord sur place, avec les mouvements lourds dont, le soir, il accompagne parfois les danses de Clios. Il tente, avec un effort énorme, de chanter. Il ne sort de ses lèvres que des sons confus, un râle sans rythme et sans paroles. Antigone a le sentiment de le voirse noyer très lentement. Diotime se lève, elle fait face à Oedipe et lui dit:"Souviens-toi que tu es un Clairchantant". Il cesse de s'efforcer, il vide ses poumons, il les emplit d'air et un son, celui que l'on attendait et que pourtant on n'avait jamais entendu, s'élève et plane dans l'air du soir.
La voix d'Oedipe n'était pas, comme on le croyait faîte pour commander ou deviner des énigmes. Avec surprise, avec bonheur, Antigone et tous ceux qui l'écoutent s'aperçoivent qu'elle était depuis toujours prédestinée au chant.

Henry Bauchau (Oedipe sur la route)

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