vendredi 22 juillet 2011

lecture d'été



_____..."Je revoyais Lucas "Nous, On n'a pas le choix". Sa phrase me faisait mal . C'est quoi ne pas avoir le choix? C'est passer sa vie à quoi? La conversation avec Marcel s'est poursuivie. Il était en verve et peu à peu je retrouvais mon intérêt à l'écouter.

_____...La question du travail, elle n'est pas nouvelle, Antoine, elle est là bien avant celle du profit capitaliste. Il faut quand même bien se questionner sur la racine même du travail. Pourquoi les hommes ont-ils tant besoin de travailler, hein ? Pourquoi l'oisiveté est-elle montrée du doigt comme la mère de tous les vices depuis toujours? Tout ça, ça ne date pas d'aujourd'hui ! Avant de s'en prendre au monde des affaires, il faudrait essayer de comprendre l'affairement des êtres humains. l'affairement. Si tu le réduis juste à une histoire de patrons et d'ouvriers, tu passes à côté de quelque chose de bien plus intéressant encore.

_____Là Marcel avait touché juste. Il avait touché exactement le nœud de mes questions à moi, celles que je n'arrivais pas à formuler.
_____Depuis l'enfance il y avait un écart entre moi et ceux qui s'affairaient, comme disait Marcel. Moi, j'aurais bien passé ma vie à contempler les gens, les choses, à écouter, à sentir, à toucher. C'était ça être vivant. Plus je grandissais, moins je savais me débrouiller avec tout ce qui m'envahissait: les sensations, les émotions, tout était trop fort. Je ne pouvais en parler à personne. Il n'y avait pas moyen de caser les études. Pas moyen de faire une place à l'espérance des parents. Alors je courais comme un fou sous la pluie. Pour reprendre souffle.
_____Quand je parlais à Marcel, je m'éclaircissais.




...Je feuillette les pages. J'entre dans les rues d'une ville inconnue. Je déambule. Les mots, les phrases comme des façades à contempler. J'essaie de sentir l'architecture de cette ville-là. Étrangère.
___Il y a la date de chaque jour pour entamer l'écrit, un trait horizontal pour clore chaque jour passé.
Et pas de blanc entre.
Des petits pavés inégaux.
La vie de mon père.
Je pense à ces jardins ouvriers bien exploités, sans place perdue, morcelés en carrés, en rangées bien alignées. Ici, ce sont les jours qui sont découpés, rangés, cultivés.

Bientôt mon œil est attiré par les passages les plus courts. Certains jours, juste la date notée. Le trait bien tiré dessous.
Et rien.
Ce sont ces jours de rien qui me bouleversent
Le besoin de noter la date quand même.
Parce qu'un jour ne peut pas totalement se perdre ?

J'imagine les jours de rien. la fatigue. J'imagine le vide. Le renoncement. Et cette dernière résistance à tout ce qui échappe : noter la date, tracer un trait bien droit juste en dessous.
Mes doigts caressent lentement les jours de rien inscrits sur les pages.
La vie de mon père trouée. Pas un mot pour arracher une étoile à l'obscur. Une date, un trait.
Et c'est tout.
Combien de vie comme la sienne ?
Comment être content tous les jours de partir le matin, dire au revoir aux enfants, embrasser sa femme, retrouver les autres à l'usine, le travail et recommencer le lendemain ? La même chose. La même.

... Mon père a noté bien plus qu'un tour de main. Il a noté ses jours. Je comprends que c'était bien au-delà de Lusine et que je me suis fourvoyé à le chercher là où il n'était pas, dans ce qui se voyait, cette vie toute entière dévoué au travail. Le haut de l'iceberg.

Ce qui tenait cette vie là, si évidente, ce sont les jours de rien, les jours qui ne vont pas jusqu'à la lumière. ... "

Excellent livre !

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