mercredi 16 octobre 2013

Paysage

la géographie est au sens premier une écriture de la terre, on ne saurait mieux dire, ça m'écrase d'évidence; l'immuable géographie de mes livres dessine un pays archaïque, un pays haut, pelu, bourru, violemment doux, ardemment rogue, perdu et retrouvé toujours, quitté et lancinant. Des hommes et des femmes, et quelques enfants, y vivent, y travaillent, ils habitent dans des maisons qui font corps autour d'eux, les bêtes sont nombreuses et vivaces, les apprivoisées et les autres; on s'enfoncerait là, dans la chair des choses et des cantons minuscules. Si j'osais, si j'osais vraiment, si j'avais moins de peur et davantage de force, on ne passerait pas par les histoires, le roman, la nouvelle, on ne raconterait rien et le blanc monterait sur la page jusqu'à la noyer de silence. On ferait ça, on serait à l'os de l'étymologie, dans le poème des choses nues révélées, le feu , la nuit, les saisons. Il s'agirait de restituer un monde, de le donner à voir, mais aussi à entendre, écouter, deviner, humer, flairer, sentir, goûter, toucher, embrasser, à plein bras, de toute sa peau, page à page, pas à pas, comme on marche, et ma place serait là, enfoncée dans les pays et dans la rumination lente du verbe.

M.H. Laffon : extrait de "Traversée"
coll paysage écrits
Juin 2013

1 commentaire:

Laura- Solange a dit…

J'aime "la rumination lente du verbe" , Marie-Hélène Lafon, et le Cantal qu'elle décrit...