vendredi 3 juillet 2015

Écriture





"...Toute conscience est exil. La définition la plus rigoureuse de la pensée est celle, entièrement négative, qu'en a donnée le physiologiste Alexander Bain: " Un geste retenu, une parole ravalée." Le seul fait de s'établir à part, seul, silencieux, est déjà un acte dissident. On s'exclut de la communauté parlante. On la constitue par le fait en objet. Ce dont on participait devient extérieur, étranger. Et alors, on voit, on juge ce qui nous échappait parce qu'on le vivait. Écrire, c'est porter sur le papier nos pensées, leur conférer cette précision, cette cohérence auxquelles l'écriture, seule, permet de parvenir. Chacun, désormais, peut s'adonner, pour son compte propre, à la magie inventée, voilà cinq mille ans, du côté de Sumer et d'Akkad, voir de ses yeux, les choses immatérielles dont il est obscurément le siège et la source. Mais pareil spectacle a un prix. C'est la sécession, l'absence au monde , la mélancolie. L'existence ne souffre peut-être pas la clarté que la conscience peut y jeter. Elle est colorée d'affects, drue, flottante, entraînante et, comme telle, tolérable. Y faire plus précisément réflexion, c'est se mettre hors jeu, entrer dans le vide et l'absence, "le sombre", dit Hegel, de la pensée. Et rien n'est plus assurée, avec ça , que nous comprenions vraiment de quoi il retournait. " 

                              Extrait de :
                             (Fayard 2014)


Photo: A Trévise composition sur l'eau  

1 commentaire:

if6 a dit…

une (belle) pensée claire et juste. Oui c'est bien ça écrire.