Tarentaize, pour elle se situait
derrière la place du peuple, on y arrivait par des petites rues aux
allures de village, Le Mouton à cinq pattes, la Place Boivin, la
Grand'Eglise, le marché et les vendeurs de légumes arabes, son air
un peu oriental mêlé au quartier d’anciens mineurs, les bistrots
de la rue Beaubrun, la rue de sa grand-mère et son
appartement, vieux, perché au troisième étage, avec les W.C. sur le
palier. Ce sentiment de l'obscur partout - dans les pièces - dans les
meubles - dans les vêtements - dans la silhouette — dans la cave où
sa grand-mère descendait chercher le charbon avec un sceau en fer blanc — dans le fourneaux qui servait de chauffage, de cuisinière - dans la bouilloire et le fer à repasser - le couloir en cul de sac qui servait de placard de débarras - le grenier où elle n'est jamais allée - dans le quartier aux rues
serrées - dans les femmes en noires qui y circulaient - dans les
troquets, les échoppes étriquées, les antiquaires, l'ombre des
crassiers.
Quartier où adolescente elle faisait semblant de se perdre , de la rue de la résistance au palais de justice passant par la place Grenette, la rue mi-carême, la rue de la Paix, ou bien par la montée d'escalier de la rue Saint-Marc, derrière l'école de dessin, et d'autres petites rues dont elle n'a pas retenu le nom. Elle aimait à imaginer qu'elle était ailleurs, à déambuler à tourner en rond — le quartier n'était pas si grand — à tourner sur elle même tel les derviches. Mais c'est ici dans ce quartier qu'elle revenait à chaque fois dans un état somnambulique, qu'elle s’ancrait dans une marche obsédante, terre à terre, hallucinatoire. Elle était cette ombre qui passe, inconnue d'elle même, à l'avenir incertain et au passé silencieux. Un lieu ou le soi se vivait sans artifice, personne ne la voyait, elle n'avait aucun rôle à tenir. Cette marche obstinée lui donnait l'illusion d'être en mouvement, debout, et d'avancer.
Parfois elle poussait jusqu'au clapier, Place de la Pareille, rue du Puits Chatelus. Apparaissait de l'herbe le long de la voix ferrée, des cabanons abandonnés, des maisons délabrées, une zone non définie, un peu étrange et angoissante, quelques chiens errants, des morceaux de colline noires, de terrains vagues délaissés, tristes, ce n'était plus la même ville. Elle retournait vers un centre plus rassurant , Marengo, le jardin, les marronniers aux fleurs roses, son bassin, lieu d'enfance où l'on se renvoyait toute sorte de petits bateaux à voile — on les rattrapait avec une corde lestée d'un bouchon — ou petits bateaux à moteur qu'on remontait avec une clef. Jours heureux.
Aujourd'hui le quartier est devenu une zone. Le Panassa disparaît encore plus dans le Maghreb — Les maisons sont rénovées, les façades un peu moins noires — Il lui reste la marche pour aller à la bibliothèque de Tarentaize et la mémoire des pas sur les trottoirs. C'est juste le temps qui a passé. Elle ne sait pas si les choses changent vraiment. Les gens qui vivent là doivent avoir encore l'impression d'un quartier. Celui qu'on fait sien au quotidien. Mais elle, elle est partie et remonte le temps avec une petite clef.
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