mardi 16 février 2010

Lecture

Aux Editions Rouergue


..."J'ai relu une seconde fois le dernier morceau, qui commence par Marins qui rêvez en Haute mer...pour être sûr d'avoir compris. Ensuite j'ai recommencé du début. Et encore.
Je la voyais faire semblant d'écouter ma maîtresse à l'école. Sagement. Je me disais, elle doit tirer un petit bout de langue en écrivant, elle a dû se foutre de l'encre sur les doigts, elle va faire des ratures-j'en faisais plein moi, à son âge.
Mais non,elle était plus soignée que moi, elle avait des cahiers bien tenus.
Elle se regardait dans la glace et il lui tardait de grandir.
Et ça je le comprenais drôlement, parce que, quand on est môme, la seule chose qu'on attend, c'est que ça commence. La vie. C'est pour meubler le temps qu'on fait des conneries.
On passe des années à rêver d'être grand, tout ça pour regretter quand on était petit.
Enfin ça c'est des apartés-qui sont des réflexions qu'on se fait part soi.
Quand le petit cargo tout fumant est passé au milieu du village, je me suis dit qu'on allait la sauver cette gamine. Et puis non. Et quand une vague vient la chercher, une vague énorme, avec deux yeux d'écume parfaitement imités pour essayer de l'aider à mourir, et qu'elle n'y arrive pas ça fait flipper, je peux vous dire-enfin moi.
Mais le bizarre, dans l'histoire, c'est que plus je lisais et plus elle vieillissait dans ma tête cette gosse. Plus elle ressemblait à Margueritte, en fait, ça devenait une vieille petite fille toute menue comme un moineau, avec les yeux de Margueritte et ses cheveux gris et violets.
Et plus elle lui ressemblait, plus ça me serrait fort le gosier de relire la fin, quand ça parle d'un être qui ne peut pas vivre ni mourir, ni aimer, et souffre pourtant comme s'il vivait, aimait et se trouvait toujours sur le point de mourir, un être infiniment déshérité dans les solitudes aquatiques.
J'aurais pas su dire pourquoi, mais j'avais l'impression qu'à l'intérieur de Margueritte il y avait cette petite fille un peu tristouille, qui attendait la vague, et ça ne venait pas..."

(Les notations en italiques sont des citations de l'enfant de la haute mer de Jules Supervielle)

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