Berce moi ô toi
qui avaient les mots les gestes
et l'imaginaire
berce moi ô toi
que je retrouve les rêves
ceux d'avant avant
ceux de la nuit noire
ceux du mystère profond
caché au fond du puits
Dessin de moi endormie fait par mon père
qui avaient les mots les gestes
et l'imaginaire
berce moi ô toi
que je retrouve les rêves
ceux d'avant avant
ceux de la nuit noire
ceux du mystère profond
caché au fond du puits
Dessin de moi endormie fait par mon père
tâches de couleur
feuilles tombées en éclat
tâches de douleur
novembre s'entache
de douleur – sait-on si l'arbre
souffre de la perte
la beauté du rouge
se flétrit au sol – ne crie
mais se donne à voir
Philosophie, « amour de la sagesse ». Je veux bien, mais… sagesse de quoi, de quand, de comment, et vis-à-vis de quoi, de qui ? De la vie ? De la mort ? Du réel ? D'autrui ? Du langage ? Peut-être l'enjeu de cette sagesse – son objet extrême, c'est-à-dire son impossible – devrait il être reconnu dans l'expérience de la douleur.
Une recherche ou tâche philosophique serait-elle l'impossible réponse à la question de la douleur et des taches qu'elle dispose, qu'elle impose dans le cours de nos vies ? En tout cas les Recherches philosophiques, œuvre maîtresse de Wittgenstein, m'apparaissent souvent comme des « recherches sur la douleur » autant que comme des propositions pour une philosophie du langage.
Ici et là, presque au hasard : « Tu dis donc que le mot "douleur " signifie en réalité "crier" ? – Je dis au contraire que l'expression verbale (Wortausdruck) de la douleur remplace le cri et qu'elle ne le décrit pas. [...] Comment puis-je aller jusqu'à vouloir me glisser, au moyen du langage, entre l'expression de la douleur (Schmerzäußerung) et la douleur même ? […] J'ai vu quelqu'un se frapper la poitrine en disant : "Mais les autres ne peuvent pourtant pas ressentir cette douleur ! " » Puis, comme souvent devant une aporie conceptuelle, Wittgenstein se risque à inventer une image :
« Imaginons le cas suivant : la surface des choses qui nous entourent (pierres, plantes, etc.) comporterait certaines taches et certaines zones dont le contact avec notre peau serait douloureux. (Par exemple en raison de sa composition chimique. Mais il n'est pas nécessaire que nous le sachions.) Tout comme nous parlons aujourd'hui des feuilles tachetées de rouge d'une certaine plante, nous parlerions alors de feuilles possédant des taches de douleur.
J'imagine que la perception de ces taches et de leurs formes nous serait utile, que nous tirerions d'elle des conclusions sur d'importantes propriétés des choses. »
Ainsi, de même que la botanique n'existerait pas sans la possibilité de décrire les taches de couleur des différents végétaux, une anthropologie prendrait tout son sens à pouvoir décrire les taches de douleur de l'humanité dans l'histoire. Wittgenstein, aux phrases qui précèdent, faisait suivre cette remarque sur la possibilité – et la difficulté –, pour le philosophe, de faire voir quelque chose : « Je peux faire voir la douleur, comme je fais voir le rouge, et comme je montre le droit et le courbe, la pierre et l'arbre. – C'est cela justement que nous appelons "faire voir". »
(Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques [1936-1950], trad. F. Dastur, M. Élie, J.-L. Gautero, D. Janicaud et É. Rigal, Paris, Gallimard, 2004, p. 136, 139 et 155.) (23.07.2012)
Extrait du livre de Georges Didi Huberman : Aperçues (édition de minuit - 2018 )
si nous sommes faits
de désirs inassouvis
de rêves à vivre
si de hauts murs barrent
notre chemin malgré tout
nous frayons sans cesse
de minces passages
des crevasses dans la pierre
où l'espoir s'échappe
si nous sommes faits
de fragments disjoints éparses
nous cherchons en vain
une cohérence
à assembler des morceaux
pour faire un ensemble
mais à chaque fois
ça s'écroule se disloque
en nouveaux fragments