jeudi 17 juillet 2025

Ligne brisée





Quand on regarde effaré, ce qu'on est, ce qu'on aurait pu être, ce qu'on a été, dans ce magma de contingence, social, génétique, familial, religieux, hasardeux, avec aussi ses propres forces, son propre génome, il est bien difficile de voir le sens, le but. Nous n'étions pas au départ une page vierge sans taches. Aujourd'hui le tracé de ce qu'on a tenté de graver sur le livre de vie s'efface dans un halo blafard. Seule l'écriture pourrait restituer l'histoire en se distançant suffisamment pour ne pas sombrer dans cette crevasse béante du pourquoi, l'épingler, la disséquer avec suffisamment de justesse de courage, d'un regard implacable, sans aucune concession.


Estourelle: 18 mai 2016





dimanche 13 juillet 2025

Lire dans la nuit

 


Cette revendication de la mélancolie, que je fais mienne dans ces essais et dans ceux que j’ai écrits au fil des années dans la direction de la pensée de Jacques Derrida, n’a rien pourtant de pathétique (j’ose l’espérer), mais se veut, au contraire, mémoire active, ranimée, soulevée par un même (et toujours différent) désir de lire et d’écrire. Car si l’on tentait de faire tenir l’ensemble de l’œuvre de Jacques Derrida en un seul mot, celui de « mémoires » lui conviendrait parfaitement. « Mémoires » au pluriel bien entendu, car celui qui disait aimer la « mémoire absolue », aimait aussi ce mot parce qu’il était étroitement lié à l’écriture et à la trace. La mémoire, c’est ce qu’on ne peut jamais s’approprier, elle échappe et revient, perdue (en dépit de tous les aide-mémoire et mémentos) mais aussi toujours revenante, même sous une forme dissimulée, interdite ou refoulée. Si la mémoire est l’inconscient même, son expérience reste toujours, comme l’écrit Derrida dans Mal d’Archive, une « attente sans horizon d’attente, l’impatience absolue d’un désir de mémoire », dans un mouvement inlassable de reprise, de réitération, de relance. Dans un débat avec Hélène Cixous, Derrida avait dit, en guise de « dernier mot » : « C’est la question de l’impossible : je crois que nous sommes toujours en train de jeter des choses puis de les reprendre. » Et on se rappelle cette phrase, murmurée à mi-voix dans le film de Safaa Fathy, D’ailleurs, Derrida : « Je ne jette à peu près rien. » Les mémoires de Derrida prennent aussi souvent la forme du « journal de bord » comme dans Parages ou « Un ver à soie », dans Voiles, où cette forme mouvante, mobile, à peine un genre passant la ligne entre vie et écriture, appartient au « registre d’une navigation » où « tous les bords, d’un texte à l’autre, sont aussi des rivages, rivages inaccessibles ou rivages inhabitables. Paysage sans pays, ouvert sur absence de patrie, paysage marin, espace sans territoire, sans chemin réservé, sans lieu dit. » « Mémoire » est ainsi le nom d’un « frayage du chemin », d’un espacement, du déplacement des frontières (génériques, politiques) : le nom même de la differance. C’est à cette ouverture de la pensée derridienne – et tout particulièrement quant à la littérature – que ces essais tentent chaque fois de répondre.


Ginette Michaud




mardi 8 juillet 2025

La femme arbre




         

                                    

                                        la femme arbre retrouve ses racines

                                        dans les forêts de l'enfance

                                        des océans  des étés  de lumière

                                        ses branches antennes vers le ciel 

                                        vers les astres ça la relie à l'infini 

                                        un plus vaste que la terre

                                        elle a besoin des deux forces

                                        elle tente de les unir

                                        elle tremble sous le vent elle

                                        cache des cicatrices 

                                        dans l'écorce de son tronc



Peinture : Gustav Klimt



samedi 5 juillet 2025

Lignes de fuite

 


je ne sais pas quel itinéraire prendre. La route disparait au loin et m'entraine avec elle dans son resserrement infini. Le paysage qui défile me happe et me guette. Écrire c'est oublier qu'on est mortel, c'est partir en voyage sur une route qui n'existe pas dans une direction X. Tout ce qui brille attire. Un soleil levant, un lac, un étang, un coucher de soleil sur la mer. On rêve assis au bord du monde, les reflets d'un canal à Venise tout près de la main, un campanile , des mouettes tracent des lignes dans un bleu parfait. Si loin si proche. 


Estourelle: 17 avril 2016


Peinture de Kandisky





mercredi 2 juillet 2025

"recherche du silence perdu" ?

 




                                              "Il Treno" de John Cage








jeudi 26 juin 2025

Glenmor - Puis nous garderons











Quand nous n’aurons plus notre bel habit d’enfance
Quand les bois de Noël seront cendre un peu plus
Quand toutes les beautés qui furent insouciance
Seront de noir vêtues sur les tables du souvenir,

Nous verrons tout ensemble cassés
Et le dos du paysan et le pas des chevaux
Nous irons tous ensemble larguer
Nos trois sous de mémoire au cimetière des bateaux.

Quand nous n’aurons plus le sel des eaux de Guérande
Quand la barque sénane ira déroutée pour un temps
Quand la pluie des montagnes sera jus de prébende
Quand l’île sera folle, la terre dans le vent

Nous verrons tout ensemble mêlés
Nos trois sous de mémoire, le répons d’un écho
Nous irons tous ensemble guetter
La dernière lueur sous les ruines du hameau.

Quand nous n’aurons plus notre folie coutumière
Pour déjouer la loi et le joug du puissant
Quand nous dirons l’histoire couchés sous la bannière
De qui brûle au soleil les vergers d’Occident,

Nous verrons tout ensemble faner
Nos dernières splendeurs, nos fleurs de libertés
Nous irons tous ensemble mendier
Notre droit de vivre sous le porche des cités.

Puis nous garderons notre bel habit d’enfance
Car les vents de demain sont de gel et du Nord
Les chants de la terre iront tramés de souffrance
Si nous prenons l’habit, la tunique des morts.

Tous nos bras sont tendus vers un ciel
Où tout l’or et le bleu sont de sable et d’argent
Notre gloire fut mise au sommeil
Nous irons la chercher pour un autre printemps.