vendredi 14 février 2020

Basse langue






"...En présence de quelques personnes, je fais la lecture d'un livre en dévalant, à plat ventre, les escaliers de nombreux étages. Sur l'arête de chaque marche, je tombe durement, à grande vitesse, sans répit, résolue à les dévaler jusqu'au bas, où je demeure, toujours à plat ventre, je sais que je viens de lire vraiment ce livre, le premier que j'avais écrit en me mettant à l'écoute de la voix privée de langue, que je l'avais seulement écrit, comme s'il s'écrivait en moi, à ma traverse, qu'il me restait à en être le lectrice dévalée, chutée, labourée, afin que j'apprenne ce qui doit faire présence, trouée l'être de sa présence comme la tête de l'enfant au bord des lèvres de la vulve, et cela avec la langue écrite et lue par moi.
Tel est le rêve que, cette nuit, j'ai fait."

Entendre la basse langue c'est sens dessus dessous, une descente sans glisse, heurtée à chaque cran, et c'est en être retourné, renversé - mais initié..." C'est pourquoi, à la fin, redressée, je demeure silencieuse alors qu'un homme , à ma gauche, entreprend de commenter la lecture.De recouvrir d'un discours ce dont on ne peut parler. Puis à ma droite, une jeune fille s'écrie, que, pour sa part, "elle n'a rien compris!".

Entre ces deux gardiens de l'ordre symétriques, je reste seule avec l'absolu de mon bouleversement.

Être lecteur de ce qu'on a écrit – plutôt, être lue par ce qu'on a écrit, par l'étranger qui a surgi sous notre langue. "...


Christianne Veschambre , extrait de Basse langue édition Isabelle Sauvage


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