"...Il me fallait encore faire du chemin pour accomplir ce "saut ardent vers l'intérieur" dont parle maître Eckhart. Je me disais: un artiste n'est-il pas quelqu'un qui évolue dans ce libre intervalle ouvert entre les créatures et le doigt de Dieu? Qui endure la béance et habite ce lieu inconditionnel entre la divinité et le néant?
En tout cas, c'est à travers une telle béance que se donne le visible en feu (et aussi l'invisible qui s'y brûle sans se consumer) – c'est à dire ce qu'on voit dans la petite soixantaine de tableaux du Caravage éparpillés de par le monde: des sacrifices, des extases, des heures saintes et des mises à mort, toute l'histoire de la solitude, toute l'histoire de la vérité, et leurs torsions dans le noir.
Ce monde inconnu en chacun de nous que le jeu de l'ombre et de la lumière engage nous est soudain remis comme un surcroît du visible, confié comme une chose impossible à déceler autrement qu'à travers le battement d'une clarté dans la nuit, et sans autre forme que celle qui s'entrouvre à l'intérieur de ce battement ; car vous, je ne sais pas, mais moi c'est mon histoire avec le Caravage qui me le dit: un lieu retiré de tout visible ne cesse de faire entendre sa présence à l'intérieur de moi comme à l'intérieur de la peinture, étranger à toute forme, et qu'aucune figure ne peut contenir…"
P 70 du livre de Yannick Haenel: La solitude Caravage
Tableau: la vocation de Saint-Matthieu de Caravage peint entre 1599 et 1600 pour la chapelle Contarelli de l'église Saint-Louis-des-Français de Rome

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