Quand reviennent ces jours de disgrâce où, pour un moment, les livres, tous les livres n’ont plus que le goût du papier mâché, où une acedia saturnienne décolore pour l’âme et dessèche sur pied toute la poésie écrite, il ne reste pour moi que deux ou trois fontaines – petites, intarissables – où l’eau vive dans le désert qui s’accroît continue à jaillir et immanquablement me ranime; ce sont quelques Chansons de Rimbaud ( Le pauvre songe – Bonne pensée du matin - Comédie de la soif - Larme – Éternité – Jeune ménage) un ou deux tout petits poèmes de Lusset (À Saint Blaise, à la Zuecca…La Chanson de Barberine) et – le plus directement peut-être, le plus naturellement branché sur cette nappe phréatique profonde - Guillaume Apollinaire. Plus encore que la Chanson du Mal Aimé (si belle, mais dont le ton est d’emblée celui de « la grande poésie ») il me suffit de l’Adieu, de Marizibill, des Colchiques, de Clotilde, il me suffit de me redire la première strophe de Marie pour que le monde, instantanément, retrouve les couleurs du matin. Les couleurs du matin ? oui, mais les couleurs d’un matin irrémédiablement perdu. Il y a une magie – une noire magie – embusquée au cœur de la chanson qui jaillit si fraîche, si insouciante et si légère, magie qu’ignorent (ils en recèlent d’autres) les grands poèmes élaborés et mûrs de Baudelaire et de Mallarmé. Il y a là à la fois la spontanéité la grâce toute neuve de la vie qui bouge à l’état naissant et le recul du jamais plus inhérent à toute fixation poétique.
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Quand reviennent ces jours de disgrâce où, pour un moment, les livres, tous les livres n’ont plus que le goût du papier mâché, où une acedia saturnienne décolore pour l’âme et dessèche sur pied toute la poésie écrite, il ne reste pour moi que deux ou trois fontaines – petites, intarissables – où l’eau vive dans le désert qui s’accroît continue à jaillir et immanquablement me ranime; ce sont quelques Chansons de Rimbaud ( Le pauvre songe – Bonne pensée du matin - Comédie de la soif - Larme – Éternité – Jeune ménage) un ou deux tout petits poèmes de Lusset (À Saint Blaise, à la Zuecca…La Chanson de Barberine) et – le plus directement peut-être, le plus naturellement branché sur cette nappe phréatique profonde - Guillaume Apollinaire. Plus encore que la Chanson du Mal Aimé (si belle, mais dont le ton est d’emblée celui de « la grande poésie ») il me suffit de l’Adieu, de Marizibill, des Colchiques, de Clotilde, il me suffit de me redire la première strophe de Marie pour que le monde, instantanément, retrouve les couleurs du matin.
Les couleurs du matin ? oui, mais les couleurs d’un matin irrémédiablement perdu. Il y a une magie – une noire magie – embusquée au cœur de la chanson qui jaillit si fraîche, si insouciante et si légère, magie qu’ignorent (ils en recèlent d’autres) les grands poèmes élaborés et mûrs de Baudelaire et de Mallarmé. Il y a là à la fois la spontanéité la grâce toute neuve de la vie qui bouge à l’état naissant et le recul du jamais plus inhérent à toute fixation poétique.
Julien Gracq
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