Il n'y a pas de pensées dangereuses ; la pensée elle-même est dangereuse . Hannah Arendt
Puisque Kafka conserve la métaphore traditionnelle d’un mouvement temporel rectiligne, « Il » a tout juste assez de place pour tenir et se prend à rêver d’une région surplombant la zone de combat. Pour éviter la tentation du surplomb métaphysique Arendt complète Kafka : l’insertion de l’homme fait dévier les forces du passé et du futur, même légèrement. La brèche où « Il » se tient n’est plus, virtuellement, un simple intervalle mais ressemble à un parallélogramme de forces. – L’action des deux forces aboutit à une troisième force, la résultante, dont l’origine serait le point où les forces du passé et du futur se heurtent. Les deux forces antagonistes sont illimitées quant à leur origine (passé infini et futur infini) et ont un point d’aboutissement connu, celui où elles se heurtent. La force diagonale, au contraire, est limitée quant à son origine mais infinie en ce qui concerne sa fin. Elle est la métaphore parfaite pour l’activité de la pensée. Si le « IL » de Kafka est capable d’exercer ses forces le long de cette diagonale, il découvrira l’espace-temps énorme, en perpétuel changement, qui est créé et limité par les forces du passé et du futur et trouvera le lieu dans le temps qui est suffisamment éloigné du passé et du futur pour offrir à l’arbitre une position à partir de laquelle juger les forces en lutte d’un œil impartial. – Mais il n’en va que théoriquement ainsi. « IL », incapable de trouver cette résultante qui le conduira hors de la ligne de combat mourra probablement d’épuisement, conscient seulement de l’existence de cette brèche dans le temps qui est le sol sur lequel il doit se tenir, bien qu’il semble un champ de bataille et non un foyer. – Ces images ne peuvent valoir qu’à l’intérieur du domaine des phénomènes mentaux. Ce n’est que dans la mesure où il pense que l’homme vit dans cette brèche entre passé et futur. Cette brèche va de pair avec l’existence de l’homme sur la terre. Chaque génération doit découvrir et frayer laborieusement ce petit non-espace-temps qui ne peut être transmis mais seulement indiqué. (§ 12-15)
Thierry Ternisien d'Ouville
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