LA DANSE DU BATON
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dimanche 17 mars 2024
samedi 16 mars 2024
Une traversée
Entre la voie fluviale et la voie ferroviaire, il y a une route où je marche inlassablement, à mon rythme. Il n’y a plus de bac pour traverser d’une rive à l’autre ou comme à Venise de traghetto. Des ponts en fer permettent d’aller d’un côté à l’autre, là où serpente la Loire, entourée des sucs, restes des très vieux volcans endormis. Sur cette terre sauvage, j’y ressens une ancienne protection. Je laisse libre cours à mes pensées qui divaguent, vont et viennent au fil de l’eau. J’essaie de traduire à travers ce paysage, un chemin intérieur ancien et toujours actif: cet inavouable non usé en nous dit Pascal Quignard, ou cette part indemne dirait Yannick Haenel. Traverser le temps, le dire autrement, parcourir son histoire, l’interpréter comme une langue ancienne, un morceau de terre indéfini, malléable, changeant suivant les crues ou les sécheresses, les paysages ouvrant des fenêtres dans la tête.
Sur ces chemins tranquilles bordant le fleuve, où l’on marche à pas lents, il y faut la solitude, pour contempler, demeurer, se mettre à l’écoute de l’eau. Elle est comme un chant, avec son ruissellement, la résonance des petites chutes sur les pierres. Une rumeur parle en mon coeur d'un bonheur lointain qui soudain se fait proche.
Si un héron se pose sur une pierre, j’y vois un signe des dieux, de ceux qui n’existent pas. Ceux que l’on porte en soi, qui sont forces de vie, qui se lisent dans les éléments, l'eau, la terre, l'air, le ciel, les arbres, les nuages, l’herbe, les petits ânes humant le soleil, ou les hérons immobiles, ascétiques.
Le soir quand tombe l’ombre, une dernière colline éclairée accroche le regard puis elle sombre aussi dans le noir. La lune se lève ronde et claire, un dernier rai de lumière apparait, un recours, une pensée qui tient en éveil, que l'on garde en soi, que l'on répète comme un mantra pour ne pas chuter.
Parfois un livre, quelques poèmes accompagnent cette déambulation, aident à voir plus loin que le paysage, ouvre des passages vers d’autres mondes, infinis, infimes, invisibles. Quelque chose nous étreint, l’étrange sentiment du travail du temps, dans les coulées de lave figée, les maisons en pierres basaltiques noires, le feu refroidi, la forme des crêtes plissées recouvertes d’arbres. Alors soudainement, surgit l’Islande. Sur cette autre terre lointaine, se vit le temps en travail, on marche sur une terre chaude, prête à tout moment à jaillir en feu ou geysers bouillonnants, la glace et le feu forment une alliance mystérieuse. On est au cœur de la matière agissante, de la mère qui enfante. Habiter au creux des vieux volcans et rêver de l’Islande, à moins que cela ne soit l’Islande qui rêve d’une terre endormie. Je marche ainsi à la lisière de deux mondes: en rêvant le temps s’arrête.
lundi 11 mars 2024
Lutte intérieure
dimanche 10 mars 2024
vendredi 8 mars 2024
lancer un caillou
lundi 4 mars 2024
mercredi 28 février 2024
L'heure de Clarice Lispector
" Il y a des femmes qui parlent pour veiller et pour sauver. Non pas pour attraper, avec des voix presqu'invisibles, attentives et précises comme des doigts virtuoses, et rapides comme des becs d'oiseaux, mais pas pour saisir et dire, des voix pour rester tout près des choses comme leur ombre lumineuse, pour réfléchir et protéger les choses qui sont toujours aussi délicates que les nouveaux nés. Il y a celles dont la voix baisse comme une flamme, ne parle presque pas mais, s'avance encore plus près, plus près des secrets des choses, se baisse jusqu'à terre, se couche, touche de la main le sol imperceptilement tremblant, écoute la musique de la terre, le concert de la terre avec toutes choses. Il y a ces femmes dont la voix note les signes de la vie en ses infimes commencement. Si elles écrivent c'est pour entourer la naissance de la vie des soins les plus délicats. Elles m'ont appris que la tendresse est une science et leurs écritures sont des voix changées en mains, pour venir très doucement à la rencontre de nos âmes, quand nous cherchons, nous avons eu besoin de partir chercher ce que notre être a de plus secret, parcequ'une voix de femmes nous a réveillé le coeur. Une voix de femme est venue à moi de très loin, comme une voix de ville natale. Elle m'a apporté des savoirs que j'avais autrefois, des savoirs intimes, naïfs et savants, anciens et frais comme la couleur jaune et violette des freesias retrouvées. Cette voix m'était inconnue. Elle m'est parvenue le 12 octobre 1978. Cette voix ne me cherchait pas, elle écrivait à personne, à toutes, à l'écriture, dans une langue étrangère. Je ne la parle pas mais mon coeur la comprend, et ses paroles silencieuses dans toutes les veines de ma vie se sont traduites en sang fou, en sang joie. Que fais-je à t'écrire? J'essaie de photographier le parfum. Je t'écris assise près d'une fenêtre ouverte, en haut de mon atelier. Je t'écris ce facsimilé de livre, le livre de qui ne sait pas écrire, mais c'est que dans le domaine plus léger de la parole, je ne sais presque pas parler, surtout te parler par écrit. Moi qui me suis habituée à ce que tu sois l'audience quoique distraite de ma voix. Quand je peins je respecte le matériel que j'utilise, je respecte son destin primordial. Alors quand je t'écris je respecte les syllabes. Je t'écris à la mesure de mon haleine. Serais-je en train d'être hermétique comme dans ma peinture. Car il parait qu'il faut être terriblement explicite. Suis-je explicite? Cela m'importe peu. Maintenant je vais allumer une cigarette, peut-être reviendrais-je à la machine ou peut-être m'arrêterai-je ici même pour toujours, moi qui jamais ne suis adéquate. Les mots me devancent et me dépassent. Ils me tentent et me modifient. Et si je n'y prends pas garde, ce sera trop tard, les choses seront dites sans que je les ai dite, ou bien en tout cas ce n'était pas seulement cela, ma confusion provient du fait qu'un tapis est tissé de tant de fils que je ne peux me résigner à n'en suivre qu'un seul. Mon embarras vient de ce qu'une histoire est faite de beaucoup d'histoires et je ne peux pas les raconter toutes."
Hélène Cixious - Entendue ICI